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La CJUE encadre l'examen des demandes d'asile fondées sur l'homosexualité

Le 06 janvier 2015
Détaillant les procédés auxquels ils ne peuvent pas recourir, la CJUE fournit une première définition négative des méthodes d'instruction à la disposition des États confrontés à une demande de protect
Saisie par voie préjudicielle de la sensible question des demandes d'asile fondées sur l'orientation sexuelle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) demande aux États de procéder à un examen particulier de la situation du demandeur lorsqu'ils cherchent à établir l'orientation sexuelle alléguée.
Sans fournir d'indications précises sur les procédés pouvant effectivement être mis en place, la Cour encadre cet examen en proscrivant certaines pratiques qu'elle juge contraires au principe de dignité humaine et au respect de la vie privée et familiale (articles 1er et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne).
Nécessité d'établir l'orientation sexuelle avant d'examiner les craintes

La Cour rappelle dans un premier temps qu'avant d'examiner si le demandeur est effectivement exposé à des craintes, il est nécessaire que le motif de persécution allégué soit établi. A ce stade, elle estime qu'il n'y a pas de distinction à opérer entre les différents motifs de persécutions prévus par la Convention de Genève : comme tout motif, l'orientation sexuelle d'un demandeur d'asile ne peut être tenue pour établie au seul motif qu'il s'en prévaut.

La Cour retient donc que « tout comme les demandes fondées sur d'autres motifs de persécution », les demandes fondées sur les motifs de l'orientation sexuelle peuvent faire l'objet « d'un processus d'évaluation ». Elle souligne toutefois qu'il « appartient aux autorités compétentes d'adapter leurs modalités d'appréciation des déclarations et des éléments de preuve documentaires [.] en fonction des caractéristiques propres à chaque catégories de demande d'asile ».

Elle précise encore que les modalités d'appréciation du motif de persécution (ici l'orientation sexuelle), doivent être conformes aux dispositions des directives 2004/83 du 29 avril 2004 (dite « qualification ») et 2005/85 du 1er décembre 2005 (dite « procédure ») ainsi qu'aux principes et aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux, tel que la dignité humaine ou le droit au respect de la vie privée et familiale.

L'encadrement du recours aux « notions stéréotypées » sur les homosexuels

Cherchant à encadrer les pratiques des États dans la détermination de l'orientation sexuelle des demandeurs d'asile, la Cour va en premier lieu interdire aux autorités compétentes de conclure au manque de crédibilité de la demande au seul motif que le demandeur aurait répondu de manière insatisfaisante à des « interrogatoires fondés sur la seule base de notions stéréotypées concernant les homosexuels ».

En effet, selon elle, le recours à ce seul procédé est contraire à l'exigence d'examen individuel et personnalisé de la situation du demandeur (articles 4 de la directive 2004/83 et 13 de la directive 2005/85). Si des telles questions générales restent envisageables, elles doivent être accompagnées d'autres, reflétant un examen de la situation personnelle du demandeur.

Remarque : la Cour ne précise pas ce que recouvrent les « notions stéréotypées concernant les homosexuels ». Il est par conséquent difficile à la seule lecture de l'arrêt d'appréhender le point à compter duquel l'examen de la demande devient effectivement individualisé et personnalisé.
Une définition négative des modalités de l'examen individuel
La CJUE estime ensuite que l'examen individuel de la demande ne doit comporter aucun interrogatoire sur les pratiques sexuelles du demandeur. Cela contreviendrait au droit au respect de sa vie privée et familiale (article 7 de la Charte des droits fondamentaux).

De même, l'État ne peut soumettre un demandeur à « l'accomplissement d'actes homosexuels », à des « tests en vue d'établir l'homosexualité » ou à la production « d'enregistrement d'actes intimes » sans porter atteinte à sa dignité humaine (article 1er de la Charte des droits fondamentaux).

La Cour précise qu'un État ne peut davantage accepter de telles preuves, même proposées spontanément par un demandeur (tel était l'hypothèse dans deux des trois affaires en cause), sans inciter l'ensemble des demandeurs alléguant leur homosexualité à faire de même et leur imposer, de fait, la production de telles preuves.

Ainsi, la Cour détermine la forme que ne peut revêtir l'examen d'une demande d'asile fondée sur l'homosexualité. Il est toutefois probable qu'une telle définition négative ne permettra pas aux États d'appréhender de manière claire les mécanismes concrets auxquels ils peuvent effectivement recourir lorsqu'ils sont confrontés à la problématique de l'orientation sexuelle.

Conséquences de la souplesse exigée pour l'examen des demandes « sensibles »

Enfin, s'appuyant sur l'une des espèces dans laquelle l'intéressé, après le rejet définitif d'une première demande en avait formulé une seconde, fondée cette fois sur son homosexualité, la CJUE insiste sur le « caractère sensible des questions ayant trait [.] à la sexualité ».

Remarque : si on s'attache au seul caractère « sensible » de la demande on peut s'interroger sur la possibilité de transposer la position de la Cour à d'autres types de demandes d'asile notamment lorsque sont invoqués des cas de prostitution, de mariages forcés ou d'unions précoces.

Prenant en considération ce caractère sensible, la Cour juge en définitive qu'un demandeur peut légitimement être réticent à évoquer son orientation sexuelle et que, par conséquent, les autorités ne peuvent pas juger une demande dénuée de crédibilité au seul motif que le demandeur n'a pas dévoilé son orientation sexuelle « à la première occasion qui lui a été donnée en vue d'exposer les motifs de persécution ».

Remarque : cette position pourrait heurter la pratique française (codifiée par l'article 7 du projet de loi asile) consistant à analyser une seconde demande de ce type comme une demande de réexamen. En effet, une telle demande n'est instruite que si le demandeur invoque un fait postérieur à la décision définitive rendue sur sa première demande, ou un fait antérieur dont il n'a pu avoir connaissance avant cette décision (CE, 27 janv. 1995, n° 129428 ; CNDA, SR, 4 nov. 2010, n° 09002323) : si le demandeur ne fait valoir son homosexualité qu'au stade de la seconde demande, celle-ci n'est en principe pas accueillie, son orientation sexuelle n'étant ni postérieure à la première demande, ni inconnue de lui à cette date.
Chloé Viel
Dictionnaire permanent Droit des étrangers